Dans la foulée des désormais célèbres mais toujours aussi mal définis "risques psycho-sociaux", la santé au travail est devenue un thème porteur. On n'osera pas reprendre la malheureuse formule sur l'effet de mode mais on sent bien que l'engouement médiatique pour ce sujet passera, tandis que la question restera ouverte, car elle est complexe.
En effet, on observe de fâcheuses corrélations entre le travail (tout au moins le travail tel que nous le pratiquons en ce début de 21ème siècle, dans nos économies néolibérales et hypermodernes) et la maladie, les troubles de la santé, aussi bien physique que psychique.
Cela peut conduire à une interrogation sur l’avenir du travail : comment son rythme, son organisation et ses modalités peuvent-ils être repensés afin qu’il n’y ait pas d’arbitrage à faire entre santé et performance collective mais, tout au contraire, que se développe (à nouveau) une fructueuse dynamique entre les deux. ll n'appartient certes pas à un coach d'apporter des réponses à cette question. En revanche, la fonction de coach permet d’établir deux constats relatifs à la façon dont ce sujet impacte les managers et dirigeants.
Un dilemme éthique
Jusqu'à récemment, l'objectif principal assigné aux managers était le développement de la performance économique. Et il était entendu (implicitement au moins) que pour y parvenir, ils pouvaient, voire devaient "mettre la pression" sur leurs équipes. A chacun de trouver sa façon. Dès lors, quelques dommages collatéraux ne pouvaient être exclus...
Mais aujourd'hui, les grandes entreprises ont été contraintes d'élaborer des plans d'action antistress et les managers sont par conséquent sommés de continuer à obtenir les mêmes résultats économiques, tout en prenant des précautions vis à vis de leur personnel. Pas question que la médecine du travail s'en mêle ou que les CHSCT soient saisis, gare aux "droits d'alerte" ! Il faut mettre la pression, mais doucement ! Si je me laissais aller à un jeu de mots, je dirais que le mot d’ordre semble être à présent : « La pression sans la dépression ! ». Il s’agit donc d’un nouvel objectif, ajouté au mille-feuille des précédents, sans que l'ensemble soit repensé de façon cohérente. De nombreux managers, à tous les niveaux hiérarchiques, vivent cette double contrainte comme un véritable dilemme éthique.
L’érosion de la santé des managers
Diverses études ont montré qu'un rythme de travail très soutenu nuit à la santé physique et psychique, à moyen et long terme.
En voici une illustration, évoquée par le très sérieux et managérial International Herald Tribune (dans son édition du 19 mai 2010) : une récente étude britannique, qui a suivi 6000 travailleurs sur une période de 11 ans, conclue que ceux d’entre eux qui travaillent régulièrement plus de 10 heures par jour ont un risque de maladies cardio-vasculaires de 60 % plus élevé que ceux qui s’en tiennent à 7 heures de labeur quotidien.
Par ailleurs, en tant que coach, on peut faire état des témoignages relatifs à la banalisation du recours aux somnifères (de nombreux managers sont atteints par l'insomnie), voire aux anxiolytiques et antidépresseurs… Un des managers (en l'occurrence, jeune et dynamique) que j'accompagne déclarait cette semaine : "Moi, le soir, je prends mes petites pilules. Sinon, je ne dors pas." Et vous, la nuit, dormez-vous ou vous préparez-vous à sonner les matines ?
Et les perspectives ?
Insistons-y, le problème ne tient pas aux personnes, qui seraient trop « fragiles » ou « de mauvaise volonté » ; il tient au système organisationnel et aux défaillances de ses modes de régulation. Dès lors, des formations à la gestion du stress sont sans doute profitables (nous en proposons à présent) mais elles en peuvent en aucun cas suffire à le régler. En effet, à chaque fois que la problématique présente une forte dimension sociale, voire sociétale, elle ne peut pas être traitée uniquement sur le plan individuel.
L’accompagnement des dirigeants et managers peut ouvrir bien des perspectives. En effet, la puissance de ces dispositifs, qui se dégagent du contenu et de l’apport de trucs et astuces, peut les aider à imaginer des moyens de sortir de cette impasse et à mettre en place des modes de fonctionnement à la fois performants et respectueux de la santé des personnes au travail : la leur, bien sûr, et celle de leurs collaborateurs, tout autant. Pour ce faire, les approches collectives, reconstituant des collectifs métiers (type groupes d'analyse des pratiques professionnelles) s’avèrent particulièrement efficaces. En effet, elles développent à la fois la prise de recul, la capacité d’analyse systémique et stratégique, la créativité individuelle et l’innovation collective. Or, c’est probablement ce qui manque le plus dans les entreprises, aujourd’hui.
Valérie PASCAL.