Les sujets sur lesquels nous travaillons avec les personnes que nous accompagnons ne prêtent guère à rire. Ils sont quelquefois graves et douloureux, et souvent, à tout le moins, source de malaise, de souci, voire d’inquiétude pour eux. Mais arrive presque toujours un moment où le rire peut s’immiscer dans la relation d’accompagnement.
Ayant toujours eu un goût prononcé pour l’humour, je suis personnellement à l’affût des instants où une remarque humoristique a la possibilité d’être formulée, par le client lui-même ou par le coach, pour évoquer cette situation a priori problématique qui fait l’objet du travail, produisant ainsi cette forme salvatrice de libération d’énergie qu’est le rire partagé.
Allant du sourire esquissé à l’éclat de rire, cette manifestation réussie de l’humour traduit différents processus à l’œuvre.
Effet de connivence
Tout d’abord, plaisanter avec son client à propos de choses sérieuses et graves pour lui n’est concevable qu’au sein d’une forte alliance, la confiance ayant été établie fermement.
Le rire partagé manifeste alors cette connivence entre le coach et le coaché, autorisant des décalages qui n’auraient pas leur place dans l’entretien tripartite, par exemple. Cette alliance, nous le savons, est au cœur de l’efficacité du coaching.
Effet de distanciation/dédramatisation
Un cas :
Isabelle est une jeune femme dirigeante. Son coaching a été engagé autour d’un objectif assez étroit de changement de son registre relationnel avec ses pairs (être moins confrontante envers eux). Nous explorons ensemble les cadres et règles implicites qui régissent le collectif qu’elle vient d’intégrer : le comité de direction. Après de longs échanges, une hypothèse se dessine : elle voudrait que ces réunions soient toniques et vivantes, pleines d’interactions, alors que les autres membres recherchent apparemment une forme de calme et d’évitement, qui l’exaspère. Alors, pour ne pas sombrer dans l’ennui, elle s’agite. Arrivant elle-même à cette lecture de la situation, où elle exprime son besoin profond de vitalité et d’interaction, elle me dit, avec un sourire qui s’élargissant se transforme en rire :
« Quand ils me voient me lever, marcher de long en large, tenter de prendre la parole à tout propos, poser des questions, faire des bonds sur ma chaise parce qu’un sujet m’interpelle, ils doivent se dire : « elle est complètement hystérique ! ». Cela la conduira à observer plus tard : « C’est sans doute un manque de maturité de ma part. »
On voit bien, dans cet exemple, comment ce qui semble s’apparenter à un jugement très blessant porté sur elle, est repris par Isabelle avec une espèce de légèreté, car le disant, elle sait bien qu’elle ne se réduit pas à cette caricature probablement perçue par ses pairs … Elle peut s’appuyer sur une identité bien plus large, puisqu’elle est au moins tout autant celle dont la lucidité fait cet auto-portrait peu flatteur et en rit.
Effet de déplacement
Cela signifie qu’Isabelle s’est déplacée. Elle ne colle plus à cet aspect d’elle-même, ne se réduit plus à ce comportement. Elle est ailleurs et son rire a valeur de regard jeté dans le rétroviseur. Même si sa remarque est exprimée au présent, elle renvoie en fait à du passé.
Le rire, partagé avec moi qui trouve ce récit extrêmement drôle – et vivant, manifeste qu’en effet, Isabelle a avancé vers son objectif, car elle a pris conscience d’un comportement sur lequel elle avait un point aveugle. Le rire permet donc aussi une décharge de toute la tension qui s’était accumulée pour elle autour de l’objectif du coaching, auquel elle adhérait tout en le récusant et parce qu’elle craignait qu’on ne lui demande en fait de devenir quelqu’un d’autre. Or, il ne s’agit pas de cela mais de découvrir que l’on peut être plus que ce qu’on croit − que l’on est plus qu’on ne croit. Qu’une sorte d’altérité existe au cœur de nous-même. (Sujet effleuré ici et qu’il faudra creuser plus tard…)
Un autre cas :
Daniel, qui témoigne pendant cette séance d’un regard tout à fait nouveau sur des sujets sur lesquels nous avions déjà travaillé, confie ce jour-là (avec un sourire triomphant) : « Mais, en fait, je n’y arriverai jamais ». Et, souriant tout autant, j’enchaîne et approuve : « C’est sûr, vous n’y arriverez pas ; vous n’en êtes pas capable. C’est un coaching désespéré.». Et, plus je parle, plus Daniel rit. Ce qui s’exprime dans cette séquence est donc l’exact contraire de ce qui est formulé (figure rhétorique classique de l’antiphrase, voire de la litote) : oui, bien sûr, Daniel, va y arriver. Il est déjà en train d’y arriver car il a toutes les ressources pour y parvenir. Il le sait désormais comme je le sais et savais. Mais cette affirmation serait pompeuse et prétentieuse si elle était formulée de façon positive. Le détour par le rire est donc une forme d’élégance, permettant de marquer une confiance en soi retrouvée, sans pathos, en discrétion.
Nous sommes donc aux antipodes de ces formules sur le rire comme politesse ou élégance du désespoir. Ici, dans ce détour qui est retournement, le rire est l’élégance de l’espoir retrouvé. Il fait donc partie intégrante du coaching.
Soyons tranquilles, entre rire et coacher, nous n’aurons pas à choisir ! Ouf !
Valérie PASCAL