En écoutant mes clients et mes collègues coachs et consultants, je crois distinguer une tendance lourde à l’œuvre dans les grandes entreprises, en ce début d’été. Ces dernières semblent être de plus en plus souvent le lieu (la scène, pourrait-on dire) de deux phénomènes surprenants :
- Au niveau des personnes : augmentation de cas de somatisations, de décompensations soudaines, de déclaration de maladies plus ou moins invalidantes (depuis les tendinites jusqu’au burn-out) et d’arrêts de travail.
- Au niveau des équipes : fréquence des situations de tension, de conflit, y compris avec des manifestations d’agressivité réciproque parfois impressionnantes (et qui relèvent du passage à l’acte).
Bien sûr, il y a aussi beaucoup de personnes qui vont bien en entreprise et de nombreuses équipes qui savent maintenir en leur sein un bon climat, condition de leur performance durable. Toutefois, la fréquence de ces cas-limites semble augmenter, aux dires même des acteurs les mieux placés pour en juger : les DRH.
Etranges phénomènes...
C’est que deux faits sont peut-être en train de faire un retour en force dans l’entreprise, qui se pensait pourtant LE lieu de la rationalité absolue (héritée du taylorisme, de la science des organisations, du lean-management, etc.) : le corps et les émotions. Rien de moins !
Comme si on avait vécu dans le mythe de ne mobiliser au travail, dans des activités essentiellement tertiaires, que des cerveaux, des intelligences pures, séparées de leur support charnel et des aléas qui lui sont liés. Comme si on avait cru pouvoir dématérialiser le « facteur humain » lui-même. (Voir à ce propos l’exposition « Mecanhumanimal » de Enki Bilal, au Musée des Arts et Métiers).
L’explosion des TMS, dès les années 90, constituait une première alerte. Il y a amplification du processus. Et les entreprises, surtout françaises, doivent à présent compter avec ces deux invités surprise à la table du cerveau gauche, de l’objectivité et de la pensée analytique.
Mais à l’heure de la récession, du pilotage économique rigoureux et du reporting généralisé, rien ne les prépare, paradoxalement, à la prise en charge au quotidien de ces aspects corporels et émotionnels – pourtant simplement humains. (Comme s’ils étaient des intrus sur le lieu de travail, entrés subrepticement par on ne sait quelle faille du système…) En particulier, les managers et dirigeants sont souvent mal préparés à appréhender et à faire avec ces dimensions, autant pour eux-mêmes que pour leurs collaborateurs. Ils semblent pris au dépourvu, comme sidérés, par des manifestations qu’ils n’ont pas vues venir et ne savent pas gérer.
Du coup, le discours oscille entre déni (« Ce n’est rien du tout. Il faut juste attendre que ça passe. ») et dramatisation (« C’est terrible. Où est le médecin du travail ? »).
Soutenir les managers
Dans les deux cas, les phénomènes ne sont pas véritablement pris en charge et les managers restent en plein désarroi :
- Que dois-je faire quand je constate que le nombre de jours d’arrêt maladie augmente dans mon équipe, quand il y a des crises de larmes, des « coups de gueule » et des malaises à répétition dans les bureaux ? Quand j’entends parler d’insomnies, de dos bloqués, d’articulation qui ne veulent plus articuler ???
- Que dois-je faire quand, moi aussi, je réalise que je suis à cran, que j’ai des réactions qui me surprennent moi-même, et que je connais une bonne partie des symptômes dont se plaignent (ou pas, d’ailleurs), mes collaborateurs, même si je feins de les ignorer en comptant sur mon capital santé et sur la fait que, jusqu’ici, j’ai toujours réussi à traverser les tempêtes à la force du poignet ?
- Comment relier tout cela avec le travail ? Et sur qui m’appuyer pour y réussir ?
De fait, les accompagnements individuels et collectifs que nous menons doivent de plus en plus souvent intégrer cette double dimension corporelle et psychique, dans la résolution des problèmes professionnels, et les intégrer – en tant que ressources – dans le développement des personnes et des équipes. Un pan de savoirs nouveaux s’offre à nous. Et une occasion de relier les choses, d’unifier à nouveau intelligence et incarnation, au travail...
Valérie PASCAL