Les découvertes faites récemment dans le champ des neurosciences proposent de nouvelles grilles de lecture des processus à l’œuvre dans l’accompagnement. L’une d’elle parait particulièrement stimulante : la notion de plasticité neuronale.
Il est à présent établi que notre cerveau n’est pas un bloc uniforme et statique, mais un système complexe et évolutif, qui se recompose continûment, au gré de nos expériences de vie. Des images sidérantes nous le montrent « en action », et des synapses en train d’établir de nouvelles connexions entre les neurones, à l’occasion de pensées inédites, matérialisant le cri millénaire sans cesse répété : « Euréka ! ». (Ce qui ne dit pas si c’est la pensée qui provoque la nouvelle liaison neuronale ou l’inverse...)
Même dans nos cerveaux, il s’avère que « rien n’est permanent, sauf le changement. » (Héraclite).
Changement et plasticité
Ainsi, dans les accompagnements que nous menons, tant auprès de personnes seules que de collectifs, ce que nous cherchons à faire – susciter des évolutions des représentations de nos clients, afin de leur permettre d’imaginer et de mettre en œuvre de nouvelles façons d’agir dans leur environnement professionnel – s’appuie donc, à notre insu, sur le mécanisme biologique de la plasticité neuronale.
Si l’on disposait de l’équipement adéquat, on devrait pouvoir observer un bon recadrage dans le cerveau de notre interlocuteur... On comprend mieux pourquoi certains clients font état d’une intense fatigue après une séance de travail. Le même équipement devrait aussi permettre de voir de nouvelles connexions se dessiner dans le cerveau du coach, à la faveur des surprises de l’accompagnement.
Obligation éthique ?
Accompagner les autres dans des changements ressemble à une aventure, et notre talent professionnel fait de nous des compagnons de voyage plus ou moins pertinents, efficaces, subtils... Il me semble que cela nous confère aussi un devoir éthique : contribuer à la mise en mouvement des autres, les aider à s’engager dans la voie toujours incertaine de l’exploration et de l’innovation suppose que nous soyons nous-mêmes dans cette logique de transformation de soi et cette expérience.
Sinon quel serait le sens de cette profonde dissymétrie ? Que vaudrait une invitation à changer émanant d’un sujet routinier, se soustrayant à l’exposition, aux risques, aux aléas, et parfois aux affres, de cet engagement (si tant est que cela soit possible lorsqu’on est vivant) ? Et quelles seraient sa valeur et son efficacité, l’une et l'autre solidaires.
Cela signifie qu’en tant qu’accompagnants, nous devrions veiller à nous tenir toujours en éveil, « sur la brèche », comme on disait jadis – et ce à différents niveaux.
- Celui relatif aux représentations de notre métier, tout d’abord. On ne peut que rappeler l’importance de ces apprentissages continus, qui nous ouvrent et exposent à des idées originales, d’autres visions du monde – et chamboulent notre cerveau en même temps. La supervision fait évidemment partie des dispositifs les plus énergisants en la matière.
- Celui ayant trait à notre pratique, ensuite, domaine où il convient de rester toujours sur le qui-vive, loin des habitudes fossilisantes et apte de se laisser étonner par la singularité de chaque accompagnement, sa logique, son rythme et sa couleur locales... Alors, chaque mission prend pour le coach des airs de nouvelle expédition en terre inconnue.
- Celui de notre vécu personnel, enfin : il semble stimulant de multiplier les expositions à du neuf, du différent, bref, à de l’altérité. Cela passe par l’Ailleurs, que ce soit via la lecture, toutes les formes de l’art, via les rencontres, l’apprentissage d’une langue étrangère, ou encore par une pratique corporelle ou spirituelle... A chacun de trouver sa modalité, pourvu qu’il/elle veille à s’octroyer la quantité, et la qualité, de dérangement nécessaire pour entretenir sa propre plasticité neuronale.
Chacun d’entre nous n’aurait-il pas intérêt à se demander régulièrement : « Comment et où puis-je m’exposer à ce qui m’altère, me décale, vient troubler mon ordre établi et, ainsi, me mettre en mouvement ? ». Il se pourrait bien que cela ait une forte incidence sur la qualité de nos interventions.
Valérie PASCAL ([email protected])