Hail ! Bright Cecilia !
L’écoute, Sâcré Graal du coach
Il y a les praticiens du coaching qui font état de leur vigilance à ne pas se laisser happer par le « contenu » de ce que leur disent leurs clients, et à risquer de perdre ainsi, dans le flux du discours et la centration sur l’analyse du problème, les éléments de recul qui leur permettent de se situer au bon niveau d’intervention et de déployer un questionnement pertinent.
Il y a ceux pour qui l’écoute n’est pas un enjeu et qui vont immédiatement me démontrer pourquoi… (« Tu sais, ce que le client attend, c’est des réponses à ses questions !)
Il y a aussi ceux pour qui rester à la fois silencieux et attentifs (voire éveillés) est une gageure…
Et il y a enfin ceux (dont je suis) qui se questionnent, après des années de pratique intensive : comment continuer à développer ma capacité d’écoute, dans la durée ? A la tenir, comme on tient une note…
S’entrainer à l’écoute active et agissante
Alors, comment travailler l’écoute active et puissante, qui est au cœur de notre métier ? Comment devenir et rester un véritable grand écouteur professionnel ?
Certes, on peut se livrer à toutes sortes d’exercices et d’apprentissages… (Les propositions de formation en la matière ne manquent pas.)
Certes, existent des masses de savoir académique sur ce sujet. (Les bibliothèques ploient sous le poids d’ouvrages qui apportent des réponses étayées et précieuses à cette question.)
Certes, on peut s’efforcer de s’observer et d’être en position méta… (Un peu de supervision ne fait pas de mal, n’est-ce pas ?)
Mais, s’offrent d’autres voies d’apprentissage, plus « expérientielles », plus discrètes et, qui sait, tout aussi efficaces.
L’une d’entre elles a clairement ma préférence ; je vous propose de l’explorer ici.
Affiner son écoute professionnelle par l’expérience de la musique
Il se trouve que j’ai constaté à maintes reprises, en écoutant de la musique, classique notamment, que le fait d’être
déconnectée du langage (soit parce que la musique est instrumentale, soit parce que les paroles sont déclamées dans une autre langue, soit enfin parce que la mélodie bouleverse la syntaxe ou en apporte une nouvelle, qui modifie ma compréhension de ce qui se dit), me permet d’accéder à un niveau de perception et d’attention différent. Il est caractérisé par :
- Un abandon de ma volonté de comprendre et de faire émerger un sens rassurant (pour moi) du flot des mots,
- Une sensibilité brute mais néanmoins subtile à ce qui se joue,
- Une immédiateté de mes émotions (comme si, parfois, les mots y faisaient écran ou obstacle),
- Une ouverture totale à du neuf, de l’inconnu, de l’inouï (c’est-à-dire à de l’altérité),
- La sensation d’être posée sur un socle très solide – quoiqu’en mouvement –, d’être soutenue par le tissu des notes que la mélodie noue et déroule.
Cela me conduit à une deuxième zone d’exploration et de réflexion : le mystère de la résonance. Pourquoi suis-je à ce point saisie par tel motif, pourquoi un tel retentissement à ce qui peut laisser de marbre mon voisin ? Interrogation qui m’amène sur une double piste : d’un côté, l’expérience révèle un niveau de perception universel : cet agencement de notes me touche parce qu’il est « touchant », qu’il a été conçu pour toucher, par un compositeur qui maitrisait cet art complexe (et perdu ?) de la construction de véritables parcours émotionnels et expérientiels, avec cette matière délicate et puissante qu’est le son. Mais d’un autre côté, il y a aussi ma sensibilité singulière : ça ne touche que moi, de cette manière-là, et cela n’a pas d’autre raison que le fait qu’il s’agit de moi. Ma résonance m’appartient.
Ce type d’écoute, à la fois attentive et flottante, permet donc une prise de conscience de soi, en lien avec la dialectique identité/altérité, ou, pour le dire autrement : universalité/singularité.
Quels bénéfices pour le client ?
Mais au fond, qu’est-ce que le coaché a à gagner à la pratique de ce type d’écoute par son coach ?
- Tout d’abord, la détente (liée au relâchement de la volonté) de son coach est probablement très profitable pour lui, au sens où elle peut créer une orientation facilitante pour sa propre détente. Laquelle lui permettra d’ailleurs un meilleur accès à ses propres ressources et autorisera donc une plus grande créativité personnelle.
- Le développement de la sensibilité de son coach, en particulier dans la perception et la prise en considération des nuances, des variations infimes, dans le verbal comme dans le non-verbal, dans l’exprimé comme dans l’informulé… Cet affinage des capacités perceptives du coach permet un accompagnement plus juste du coaché dans son cheminement.
- L’accroissement de la patience du coach, de sa capacité à endurer plus longtemps la position d’écoute, laisse au coaché un espace plus vaste pour sa propre parole et l’élaboration qu’elle permet.
- Le renforcement de la capacité de concentration : le coach pourra rester attentif plus longtemps et s’en remettre plus volontiers au rythme d’énonciation du client, lequel peut alors s’installer dans son propre tempo.
- L’ouverture : le coaché pourra bénéficier d’une plus grande aptitude à accueillir tout ce qui peut se produire et ne pas se produire, à ce qu’il peut amener ou ne pas amener. Cela recouvre aussi la dimension bien connue de l’accueil inconditionnel du coaché dans sa singularité d’être…
- Enfin, « l’humanisation » du coach profite naturellement au coaché : sa capacité à percevoir l’importance des échanges avec son client, sur un plan plus symbolique, est probablement contagieuse…
Les bénéfices pour le coaché sont nombreux et cela peut donc inviter le coach à pratiquer sans limite cette modalité d’entrainement efficace tout autant qu’agréable, qui met en contact avec la Beauté (ce qui ne peut pas faire de mal).
Perspectives…
Toute pensée nécessitant un temps d’intégration, je suspens ici mon sermon pro-musica (!) et vous invite à laisser résonner les mots suivants :
« La légende est-elle vaine, où jadis ce fut pour pleurer Linos que la première audacieuse musique osa forcer l’aridité du néant ?
et qu’alors , dans l’espace effrayé d’où le jeune héros – presque un dieu – soudain et pour toujours se détachait, le vide entra en vibration
et connut l’harmonie qui maintenant nous ravit, nous console et nous aide. » (R.-M. Rilke, in « Les élégies de Duino »).
Valérie PASCAL
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