Dans la perception courante de l’expertise, celle qui prévaut dans le métier du consulting notamment, on est d’autant meilleur, d’autant plus performant et professionnel que spécialiste de son domaine d’intervention. Un consultant en SI, par exemple, sera d’autant plus légitime, reconnu et respecté par ses clients et confrères, qu’il dispose d’une connaissance et d’une expérience significatives dans ce secteur, conférant à ses analyses et recommandations une valeur incontestée.
Dans ces métiers, l’expertise est donc principalement fondée sur des savoirs théoriques et pratiques, tenant à distance, au moins en apparence, tout ce qui relève de la personne qui les porte, les incarne et les développe. Dans les fonctions d’accompagnement, en revanche, il n’en va pas tout à fait de même… Mais chut ! Il ne faut pas le dire à (tous) nos clients...
Les zones de résonance du coach sont nombreuses
Qu’il s’agisse de confiance en soi, de rapport aux autres ou à ses émotions, de relation à la pression, au pouvoir, à la
reconnaissance, à la motivation, à la réussite/l’échec, à la conflictualité, à l’argent, au temps, ou encore qu’il s’agisse de points aveugles, tout résonne pour le coach. (C’est notre humanité !) Mais certains sujets résonnent plus particulièrement pour chaque coach, qui est, lui aussi, un individu unique, « produit d’une histoire » singulière, et mu par le singulier projet « d’en devenir le sujet » (pour reprendre l’idée de V. De Gaulejac).
En tant que praticiens, nous le savons, les personnes que nous coachons viennent parfois, pour ne pas dire fréquemment, nous chercher sur des problématiques que nous n’avons pas totalement réglées à titre personnel. Et cela ne nous empêche nullement de les aider à avancer sur ces sujets, pour eux-mêmes. Le plus souvent, cette résonance peut même, par un heureux paradoxe, favoriser l’efficacité de l’accompagnement. À quelques conditions, toutefois…
Les effets de la résonance sur le processus de coaching
Sur le versant positif de la résonance entre la problématique du coach et celle de son client, on peut trouver : une capacité d’accueil inconditionnel accrue, une compréhension approfondie , un soutien plus engagé, et donc un renforcement de l’alliance... Il s’agit de véritables moteurs aidant le client à avancer sur son chemin.
Toutefois, il ne faut pas minimiser les dangers inhérents à ce sentiment de proximité/similarité que peut éprouver le coach vis-à-vis de son client – et qui l’éprouve dans sa pratique.
- Le premier risque est celui de la disparition du coaché en tant qu’autre :
Interdit par l’écho que suscite en lui la problématique de son client, le coach se confond bientôt avec lui et risque de pratiquer un déni d’altérité, en réduisant sa zone d’intervention à ce que il ferait ou ne ferait pas, lui. Le coaching se transforme alors en un incontrôlable processus de projection du coach sur le coaché, tout à fait contraire à la vocation comme à l’éthique du coaching et, de surcroît, dommageable pour le client. - Le second risque est celui de l’enlisement :
Buttant sur le même mur que son client, le coach ne parvient pas à trouver les moyens de l’aider à se décaler pour contourner ou escalader le sien… Client et coach font du surplace, ce qui compromet le processus de coaching dans son ensemble. Paralysé et empêché par ses propres limites, le coach devient un obstacle, au lieu de jouer son rôle de catalyseur.
Les parades à la disposition du coach professionnel
La conscience
Dans les deux situations que nous venons d’évoquer, il importe que le coach réalise l’impasse dans laquelle il a engagé son client, du fait de son manque de recul par rapport à la problématique de ce dernier. Son professionnalisme se manifestera déjà par sa capacité à identifier rapidement ce problème. Il sera ensuite capable de trouver les moyens de se sortir de cette mauvaise passe, afin de réorienter et de relancer le processus, en profitant de la résonance pour rebondir, cette fois.
Une fois la prise de conscience effectuée, le coach professionnel dispose de deux leviers majeurs pour venir à bout des
entraves qui immobilisent son client tout autant que lui-même.
La supervision
Implacable dispositif de prise de recul, la supervision permettra au coach d’identifier les ressorts du processus à l’œuvre et de trouver des options d’action pour en sortir. Mais, quoique nécessaire, cette approche n’est pas toujours suffisante.
La thérapie
Il peut s’avérer indispensable pour le coach d’aborder sa difficulté en thérapie, afin d’adresser le niveau inconscient. En conscientisant les mécanismes souterrains qui se jouent entre lui et le coaché, le coach pourra progresser dans l’élucidation, voire la levée de ses propres obstacles personnels. (Ces derniers étant malheureusement devenus des obstacles professionnels).
Tous les professionnels expérimentés l’ont certainement vécu : le travail concomitant sur ces deux niveaux provoque la plupart du temps un déblocage qui semble miraculeux, tant on peine à en appréhender le ressort, mais qui se constate de façon très nette dans l’accompagnement du client : en effet, celui-ci se remet en mouvement, (alors même que rien n’a, comme il se doit, été exprimé par le coach du travail auquel il s’est livré, dans l’inter-séance).
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Ainsi, dans les fonctions d’accompagnement, les limites et fragilités de l’accompagnant ne constituent pas nécessairement un frein pour le client mais peuvent, au contraire, faire office de tremplin pour un travail à la fois fertile et approfondi. A la condition, bien sûr, qu’elles soient perçues et travaillées sans relâche par le coach...
Il s’agit, à mes yeux, de l’un des aspects les plus fascinants de notre métier. Comme si la performance et le professionnalisme (autrement dit l’expertise) se jouait aussi dans des zones sombres et des blessures…
Valérie PASCAL