Dans un monde complexe, de plus en plus imprévisible, une part d’entre nous aspire, souvent en secret, à des réponses simples. Claires et nettes. Soulageantes. Sans nuance, ni zone grise. Des réponses impossibles ?
Pour les dirigeants et managers, qui ont à prendre des décisions en permanence, la tentation peut se faire jour d’un processus d’aide à la décision qui annulerait toute marge d’erreur, qui aboutirait à LA décision bonne... voire parfaite.
Rien ne peut évidemment y répondre. Mais cette aspiration est stimulante pour la réflexion sur ce qui est possible et relève de nos marges de manœuvre, quand c’est nous qui devons prendre une décision.
Je vous propose de revisiter trois modèles de prise de décision, opposés dans leurs fondements.
La décision démocratique
Il ne s’agit au fond de rien de plus que de choisir l’option qui convient au plus grand nombre, espérant que ce soutien facilitera sa mise en œuvre par une attitude positive de l’ensemble des acteurs concernés ou impliqués. On peut alors attendre (et c’est parfois de la pensée magique) que cette seule adhésion garantisse l’efficacité de la décision et produise les effets qu’on en espère…
Pourtant, nous connaissons tous ce paradoxe : ce que retient la majorité n’est pas forcément le meilleur choix, y compris pour le groupe humain concerné… Mais qui peut prétendre savoir ce qui est le mieux pour ce dernier ?
La décision technique
Le recours à l’avis d’experts peut alors apparaître comme la solution, car il permettrait d’objectiver la décision en se référant à des savoirs incontestables, patiemment élaborés par des chercheurs et des spécialistes dévoués à ce sujet. Las, il ne donne que rarement la clarification espérée, tant les courants sont multiples et les angles d’analyse bien souvent… divergents... La complexité des problèmes auxquels nous sommes confrontés conduit fréquemment à prendre en compte et articuler des avis d’experts relevant de champs théoriques ou de disciplines très variés (technologique, économique, juridique, politique, logistique… sans même parler du champ éthique). Ils ont bien du mal à s’agréger pour indiquer une seule direction facilement traductible en acte… Citons, par exemple, les sujets relatifs aux impacts du changement climatique sur l’activité humaine en général et nos sociétés occidentales en particulier.
La décision nietzschéenne
Dès lors, une autre modalité radicale de la prise de décision semble ouvrir de nouveaux horizons, pas plus bouchés que ceux associés aux deux modèles précédents : celle qui s’appuie exclusivement sur la subjectivité de celui qui doit prendre la décision aujourd’hui, et donc, avoir en tête de l’assumer, demain. Et cela vaut tant pour les décisions personnelles que pour celles qui concernent des collectifs humains.
Nietzsche a théorisé cette approche dans « Ainsi parlait Zarathoustra », en formulant le concept de l’Eternel Retour.
En dépit de la complexité du texte, ce concept lui-même peut sembler très simple : quelle décision prendrais-je si je savais que, pour l’éternité, je serai condamné-e à la reprendre infiniment et à en assumer les conséquences sans aucune limite temporelle, aucun terme ?
C’est comme la transposition à la prise de décision du mythe de Sisyphe… Et selon Nietzsche, cette perspective constitue le filtre le plus puissant et le plus pertinent pour accorder comportement et conscience humaine...
Et il est intéressant de souligner que le thème parcourant cet essai étant le « Surhomme », on peut supposer que l’intention de Nietzsche était plus de nous inviter à nous questionner sur les conditions de la détermination de l’action bonne et de l’engagement, que de légitimer nos tergiversations, refus d’obstacles et autres manœuvres dilatoires plus ou moins délibérées.
Le concept de l’Eternel Retour me semble engager une éthique de la responsabilité en nous situant dans un cadre de pensée où on ne peut pas adopter une attitude de fuite, type « Après moi, le déluge… » ou « Après moi, la fin du monde », si on veut coller à notre actualité…
Bref, l’Eternel Retour est plus inspirant que bien des manuels de management, et pas uniquement à la veille du « retour » de Noël…
Et maintenant, un petit exercice pratique pour vous permettre de vérifier l’intérêt de cette approche :
1. Pensez à une décision que vous devez prendre et pour laquelle vous hésitez…
2. Prenez une décision,
3. Envisagez ses conséquences à court terme,
4. Maintenant, projetez-vous dans l’Eternel Retour et visualisez la récurrence des effets de cette décision répétée, pendant 5 ans, 10 ans...
5. Que dit votre conscience ?
6. Comment vous sentez-vous ?
7. Avez-vous envie de revivre cet état ?
Revenez à aujourd’hui : Que décidez-vous de décider ?
Valérie PASCAL
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