Le défi quotidien du dirigeant : rester stratège
Quels que soient la taille de l’entreprise et son secteur d’activité, les dirigeants ont besoin de créer et d’entretenir les conditions leur permettant de rester stratèges dans la conduite de leur organisation au sein d’un environnement complexe, évolutif et incertain.
Le fondement de cette posture de stratège réside d’abord dans la capacité à prendre du recul ; ce n’est certes pas en ayant « les mains dans le cambouis » et/ou « la tête dans le guidon » que les dirigeants peuvent être :
- Attentifs aux signaux faibles qui indiquent une évolution dans leur environnement,
- Lucides sur les effets produits par leurs décisions (réflexivité),
- A l’écoute et ouverts aux remontées du terrain, quelle qu’en soit la teneur,
- Créatifs dans l’élaboration des solutions aux difficultés rencontrées,
- Maîtres de l’organisation de leur temps et de leurs priorités,
- Capables de démêler les tensions relationnelles susceptibles de faire capoter les projets les mieux engagés techniquement,
- Disponibles et influents,
- Habiles à se dégager émotionnellement des situations de très forte pression qui émaillent leur quotidien,
- …
Tout ceci est nécessaire pour établir durablement une assise de dirigeant éclairé - et surtout éclairant.
Si certains s’imposent une discipline personnelle qui leur permet de déployer cette posture seuls, d’autres y parviennent d’autant mieux qu’ils disposent d’un interlocuteur neutre et stimulant pour les y aider, dans le cadre d’un dispositif d’accompagnement spécifique.
La supervision des coachs et ses vertus
Le coach dispose quant à lui d’un espace/lieu spécifique pour garder la fraîcheur indispensable vis-à-vis de ses clients, rester pleinement présent et disponible pour eux : la supervision. Le terme peut induire en erreur car évoquant une position de surplomb, là où il est pourtant question d’un véritable dispositif d’accompagnement, basé sur la parité et la co-construction.
Avec son superviseur, le coach échange et élabore sur son travail quotidien, les questions qu’il lui pose et la façon dont il s’en trouve affecté. Cela va bien au-delà de la résolution des problèmes techniques qu’il peut rencontrer (relevant plus de la tactique que de la stratégie). Il s’agit avant tout d’un espace de dégagement favorisant la prise de distance, le regard panoramique, l’évolution des représentations de ce qui se joue, et renouvelant ainsi les pistes/options d’action et d’intervention.
Or, il s’avère que ce type d’accompagnement au long cours présente un intérêt pour d’autres professionnels dont l’intervention est de nature systémique. Le ressort est aisément compréhensible : plus le système est complexe et instable, plus le recul et la vision globale et la position méta deviennent décisifs. Et plus l’accompagnement se révèle créateur de forte valeur ajoutée...
La supervision des dirigeants et ses particularités
"Prête autant d’attention au dénouement de tes entreprises qu’à leur commencement. Alors tu ne connaîtras pas l’échec." (Lao-Tseu, « Tao Te King »)
Depuis quelques temps, je constate l’émergence de demandes d’accompagnement au long court, en mode supervision, à côté des demandes traditionnelles de coaching. Issue d’abord des métiers de la relation (avocats, notamment), cette appétence s’étend à présent aux dirigeants des entreprises, grandes et petites.
En effet, pour certains d’entre eux le besoin n’est plus simplement de franchir un cap, gérer une situation critique ou explorer une nouvelle zone de développement, comme c’est souvent le cas en coaching. Ils ne sont plus dans « l’espace problème » mais, peut-être, dans l’espace du « sage » de Lao-Tseu.
Ils cherchent à renforcer leur vision globale des situations, des enjeux et des priorités, mais aussi à traiter des questions éthiques inhérentes aux décisions qu’ils ont à prendre. Et, pour ce faire, ils ont à satisfaire une attente plus profonde, dénommée altérité. Car, paradoxalement, les dirigeants, quoique très entourés, n’ont que peu voire pas de véritable interlocuteur (entendu comme un autre dénué d’enjeu vis-à-vis de moi).
Pour ce faire, la supervision est la prestation idoine. Elle s’enclenche à la demande du dirigeant lui-même et se contractualise par un nombre de séances sur une période définie (un an, renouvelable, le plus souvent). Elle lui procure cet interlocuteur non impliqué dans son système d’action, neutre et impactant, distant et bienveillant, avec qui élaborer sur son travail, en l’absence de tout « hic » opérationnel, mais simplement pour renforcer sa capacité de prise de recul et d’étonnement par rapport à ce qu’il y fait/n’y fait pas/pourrait y faire.
Outre les fonctions liées au cerveau gauche (approche intellectuelle, analyse rationnelle, sens du détail, causalité linéaire) souvent déjà très développées par les cursus des dirigeants français, la supervision mobilise des aptitudes relevant du cerveau droit (vision d’ensemble, synergie corps-esprit, causalité circulaire, recours à des métaphores, accès à l’intuition et à l’inspiration). Bien loin du conseil en stratégie, cette prestation, particulièrement adaptée aux conditions de travail des dirigeants post-modernes, est nourrie d’une éthique de l’altérité et de l’humilité, comprises pour ce qu’elles sont : des ressources pour un leadership influent.
Cette prestation suppose pour le coach de mobiliser ce qui constitue au fond son principal apport : sa compétence à décaler son interlocuteur, en tenant strictement sa position basse (celui qui ne sait pas à la place de l’autre). C’est pourquoi, contrairement à une opinion répandue, il n’est pas nécessaire - bien au contraire - pour le coach d’avoir vécu lui-même une situation afin d’aider son client à la comprendre et à en tirer le meilleur profit. C’est en se gardant de projeter que le coach offre le plus d’altérité à son client. Quel plus beau cadeau ?
Valérie PASCAL