Pratiquer professionnellement le coaching professionnel, c’est-à-dire celui qui se déploie dans les
organisations, renvoie immanquablement à des configurations tripartites, une sorte de danse à trois (voire quatre), dans laquelle certains se sentent à l’aise et d’autres pas… Ces configurations soulèvent des interrogations, activent des réflexions éthiques et déontologiques particulières.
Le coaching : drôle de danse…
Une sorte de danse tripartite engage donc le coach (en tant qu’intervenant ou prestataire), le coaché (en tant que bénéficiaire) et le client (en tant que prescripteur, commanditaire ou encore « donneur d’ordre », terme que le code de déontologie de la SFCoach retient et sur lequel nous reviendrons plus loin).
La chorégraphie qui se déploie procède d’une recherche d’équilibre vivant autour d’un objectif
partagé et accepté par tous. Elle comporte deux temps : un temps de contractualisation en amont,
puis un travail qui dissocie le trio en créant un binôme de danseurs (coach-coaché) et un tiers (le-s
représentant-s de l’organisation, le-s-quel-s attend-ent la fin de la danse pour en mesurer
l’intégralité des effets. (Et il arrive que cette attente lui/leur semble longue…). Comme souvent,
beaucoup se joue dans l’amont.
Bien sûr, le coaché est supposé avoir une demande, faute de quoi, le travail ne pourrait pas s’engager (manque d’allant, d’énergie à mobiliser dans la danse). Mais le « client-commanditaire-donneur d’ordre » a lui aussi, bien sûr, une demande, voire plusieurs vu la complexité de la désignation. Et il arrive que cette dernière soit au moins un peu divergente de celle du coaché. Le coach se doit d’entendre les deux et de chercher les moyens qui permettent de les articuler, afin de favoriser les mises en mouvement du coaché susceptibles de répondre à ce double niveau.
(Référence : Art 3-3 du code de déontologie SFCoach : « Le coaching s’exerce dans la synthèse des
intérêts du coaché et de son organisation. »)
La plupart du temps, un coach aguerri – c’est-à-dire ayant du souffle et développé un excellent jeu de jambes – parvient à sentir et à maintenir cet équilibre subtil, facteur de dynamique pour le travail à venir. Mais dans certains cas, le coach s’arrête pour s’interroger sur le sens de la danse à laquelle il/elle est invité-e...
Quelques invitations dérangeantes/inquiétantes
Pour ma part, cette interrogation se manifeste par des signaux de malaise presque physiques
survenant dès lors que je suis prise dans les configurations génériques suivantes, dans la phase
amont du coaching :
>>Demande muette ou unilatérale
Situation 1 :
- Client (DRH ou manager du coaché) : Il faudra lui faire comprendre que son comportement
n’est pas adapté.
- Coach : Qui le lui a déjà signifié à ce jour ?
- Client : Je ne pense pas que cela lui ait été dit en clair.
(Référence : Art 2-3 du code de déontologie SFCoach : « Toute demande de coaching, lorsqu'il y a prise en charge par une organisation, répond à deux niveaux de demande : l'une formulée par l'entreprise et l'autre par l'intéressé lui-même. Le coach valide la demande du coaché. »)
Dans cette première situation, c’est la notion de demande qui me semble mise à mal : l’entreprise
compte sur le coach pour dire au coaché quelque chose qu’elle n’a pas su/voulu lui dire jusqu’alors.
Elle l’invite donc à se positionner comme évaluateur, et hypothèque ainsi sa capacité à créer une
alliance avec le client car elle préempte l’alliance pour elle-même. Ce faisant, elle place de plus le
coaché en position de passivité ou de résistance. Si le coach consent à cette posture (où il n’est qu’un porte-parole reniant son travail sur et avec la parole), il va devoir ferrailler avec son client au lieu de l’accompagner, et aussi ferrailler avec lui-même. Il est enfin fort probable qu’il rame pas mal pour parvenir à réussir là où l’organisation a échoué… Bref : peu de danse en vue !
L’enjeu est alors de convaincre l’entreprise qu’elle peut et doit faire un feed-back stimulant au
coaché en amont du coaching (et d’aider le RH ou N+1 à s’y préparer, si besoin), afin d’engager le
processus qui mènera ce dernier de la prise de conscience de son besoin à la formulation d’une
authentique demande (et non d’un simple « consentement » au coaching dans lequel je crains
toujours de retrouver une passivité sourdement réfractaire à l’accompagnement, façon : « Où veux-tu donc me mener, toi ? »)
>>Reporting invasif
Situation 2 :
- Le DRH annonce au coach, mine de rien : « Au fait, nous voulons un diagnostic après la
première rencontre et des points réguliers sur la progression du coaché tout au long du
processus. Puis, un bilan à la fin, bien sûr ».
(Références : Art 1-2 de notre code de déontologie : « Le coach s’astreint au secret professionnel. » et Art 3-2 : « Le coach ne peut rendre compte au donneur d’ordre que dans les limites établies avec le coaché. »)
Dans cette seconde situation, c’est la confidentialité qui est attaquée, dès l’amont du processus.
Le commanditaire, non content de savoir sur quoi le coaching va porter (l’objectif), sa destination en somme, voudrait en savoir plus sur le trajet. Mais à quelle fin ? A quoi donc rêve un commanditaire quand il veut savoir ces choses-là ? Et dans quoi le coach s’engage-t-il s’il répond favorablement à cette injonction ? Où s’arrêtent, lorsqu’ils ont commencé, l’analyse et le commentaire du déroulé des séances ? Et comment l’organisation va-t-elle utiliser les informations qui pourraient lui être communiquées dans ce cas de figure ? En définitive, le coach l’ignore et il fait donc courir de gros risques au coaché (même si celui-ci y consent) en termes d’image, de réputation, etc.
L’enjeu est sans doute de convaincre l’entreprise (le DRH, souvent) qu’elle n’a objectivement rien à
gagner à savoir plus de choses sur le contenu du coaching, et qu’elle a tout intérêt à accepter de s’en
tenir à une visibilité sur le processus dans sa globalité. Ce renoncement est parfois difficile, dans un
monde qui tend à confondre transparence et toute puissance.
Pour bien danser : trouver son centre de gravité
Le coach aguerri doit être capable de discuter, voire de disputer avec son commanditaire afin de
tenter d’infléchir sa position. En effet, en coaching, le client ne peut pas être un « donneur d’ordres » au sens littéral du terme. C’est la déontologie du métier et sa propre conscience qui doivent jouer ce rôle pour le coach. Son équilibre sera donc en partie basé sur un élément externe, totalement
objectif (un code de déontologie), et sur un élément interne, fortement subjectif : ce qui est
éthiquement possible pour lui-elle, dans ce cadre. C’est ce qui fondera son « ordre ».
Ajoutons que pour garantir la solidité de cette posture, le coach doit pouvoir se permettre ce luxe
nécessaire de renoncer à un contrat (c’est-à-dire au chiffre d’affaires associé). Cette dimension nous renvoie à une réalité très pragmatique, avec laquelle ont affaire nos exigences, dans laquelle elles s’éprouvent et renforcent. C’est pourquoi il me semble sage, pour tout coach en exercice, de
disposer d’une trésorerie suffisante (6 mois à 1 an), moyen de conserver sa capacité à dire non à une commande qui le mettrait en délicatesse avec son éthique et la déontologie de notre métier. Coût somme toute modeste, car il y a plus à perdre à y manquer…
Valérie PASCAL ([email protected])